Sandrine Chapon, enseignante d'anglais juridique : "Je vois tout de même une opportunité extraordinaire de repenser notre vie et d'entamer une transition sociétale"

le  11 mai 2020
Sandrine Chapon, enseignante d'anglais juridique à la faculté de droit de Grenoble
Sandrine Chapon, enseignante d'anglais juridique à la faculté de droit de Grenoble
Sandrine Chapon, est enseignante d'anglais juridique à la faculté de droit de Grenoble et formatrice en résolution émotionnelle. Elle est confinée avec son compagnon et ses deux enfants.

Quel est votre ressenti sur la situation ?


Sans occulter la discrimination sociale qu'engendre cette pandémie, ni les deuils ou encore le stress généré par la nécessité de s'adapter, j'y vois tout de même une opportunité extraordinaire de repenser notre vie et d'entamer la transition sociétale que les jeunes nous demandent urgemment de mettre en œuvre. J'observe aussi des comportements nouveaux qui n'avaient pas besoin du confinement pour exister auxquels on n'avait jamais pensé. Mes enfants jouent au yam par Whatsapp avec leur grand-mère qui est à Rouen, on apéro-zoom avec la belle-famille qui est à Nancy, on a créé un jardin partagé dans notre lotissement.

Qu'est ce qui a changé dans votre façon de travailler depuis le confinement ?


Absolument tout ! J'enseigne l'anglais juridique à la faculté de droit et j'ai fait mes derniers cours d'amphis de L1 via Discord. 

Je m'apprêtais à commencer un cours de "French criminal litigation" pour des étudiants étrangers inscrits dans un DU de droit français qu'il a fallu que je réinvente.
Normalement je commence ce cours par une visite au palais de justice pendant deux jours durant lesquels ils assistent à un procès et rencontrent des magistrats qui leur parlent de leur métier. Ensuite, je construis mon cours autour de leurs questions. 

Pour remplacer cette immersion, j'ai cherché des extraits de films qui pourraient être des fenêtres sur la justice pénale française. Le plus difficile a été de trouver des films avec des sous-titres en anglais parce que ces étudiants étrangers ont un niveau de français à peine conversationnel (je faisais la traduction simultanée par écrit en audience pour qu'ils puissent suivre). J'ai inclus ces extraits dans un scénario pédagogique de découverte de la justice pénale à travers la célèbre affaire de "La veuve noire de l'Isère" que les étudiants découvrent depuis chez eux. Je ne les embête pas trop avec la visioconférence parce qu'ils sont repartis aux quatre coins de la terre alors je ne leur impose pas une connexion à 6h du matin pour les canadiens et à 23h pour les australiens !

Je suis aussi formatrice en résolution émotionnelle. J'anime des ateliers de gestion du stress pour les doctorants depuis deux ans. À la demande du collège doctoral, j'ai accepté, avec beaucoup de bonheur, d'animer des groupes de paroles et des ateliers par visio-conférence en français et en anglais nommés "Mon confinement, ma thèse et moi". Je leur donne des outils de gestion du stress en fonction de ce qui ressort des groupes de parole : Comment faire quand on tourne comme un lion en cage ? Comment réguler durablement toutes nos peurs ? Comment retrouver la motivation ?...

Comment maintenez-vous le lien avec vos collègues et étudiants ?


Le collège doctoral a prévu des entretiens individuels avec les doctorants qui voudraient approfondir leur apprentissage de la régulation émotionnelle donc je Zoome, je Skype, je téléphone, je Messenger, je Whatsapp en fonction des possibilités de chacun !

Qu'est-ce qui est le plus difficile ? Qu'est-ce qui vous manque le plus ?

Ce qui est le moins agréable pour moi c'est le bouleversement de l'organisation spaciale. La nécessité de distanciation sociale chamboule un peu mes "zones interpersonnelles" au sens où l'entendait E. Hall, l'anthropologue qui a développé la notion de proxémie. L'impossibilité d’accueillir mes amis dans ma zone "personnelle", l'obligation de les maintenir dans une zone normalement réservée aux relations plus formelles (la zone sociale) et d'être ainsi empêchée dans tous les gestes associés (les embrassades, les accolades pour dire bonjour) me privent de cette communication paraverbale qui est hyper importante pour moi.

Quelles sont vos astuces d'organisation ?


Je fais plusieurs fois par jour des exercices de quelques minutes de pratique de l'attention qui me permettent de me concentrer, de nourrir mon besoin de liberté et de grands espaces.

Comment parvenez-vous à compartimenter vie professionnelle et vie personnelle puisque tout se joue dans un même espace ?


Je suis confinée avec mon compagnon actuellement en télétravail et nos deux enfants, l'un scolarisé au collège, l'autre à l'université. Souvent, nous sommes en visio-conférence en même temps pendant la journée alors je me suis aménagé un espace personnel où je peux être seule et loin du bruit des autres. J'ai investi le jardin aussi. Je me suis enfin offert un four solaire en prévision du confinement. J'adore cuisiner et en plus, ça calme mon éco-anxiété !

La première chose que vous ferez une fois le confinement terminé ?


Je trépigne d'inviter mes amis à partager un repas cuisiné à l'énergie solaire plutôt que de leur envoyer des photos de mes plats !

Préparation du repas à l'énergie solaire

Une fois que j'aurai mis le repas en route, j'irai faire, pour de vrai, la ballade que je fais en imagination tous les jours !
Publié le  11 mai 2020
Mis à jour le  15 mai 2020